Raphael Personnaz


« Acteur, il faut savoir faire le vide de soi pour faire pénétrer un autre. »

Arrivée en retard, il m'attend à la terrasse de son café favori place de la Contrescarpe, un demi de Stella devant lui. Raphaël Personnaz a les yeux opalescents, le sourire franc. Le dernier film dans lequel il joue, La Princesse de Montpensier, a très bien été accueilli à Cannes et sa prestation fortement et unanimement appréciée des critiques. Rencontre avec l'acteur une semaine avant qu'il aille s'entraîner en Bretagne avec les forces spéciales pour le film éponyme de Stéphane Rybojad avec un très beau casting : Diane Kruger, Benoît Magimel, Denis Ménochet et Djimon Hounsou. Une conversation d'un peu plus d'1h15...

Revenons rapidement sur Cannes... C'était votre premier festival... Est-ce que ça change quelque chose pour la carrière d'un acteur?

Clairement oui, je ne m'attendais pas à ça du tout. J'étais très nerveux avant. Et puis le jour J, à la conférence de presse du matin, j'ai compris qu'il se passait quelque chose de bien, que le film avait été bien apprécié, mon personnage aussi. Et puis, surtout la projection le soir... Les vibrations de la salle quand elle applaudit, je n'ai jamais ressenti quelque chose de pareil. Ensuite ça a aussi un effet sur la carrière. Moi qui viens du théâtre, de la télé, là d'être un personnage dans le film de « mon maitre » Bertrand Tavernier, ça apporte une légitimité. Je suis déjà en train de lire des scénarii qui m'ont été proposés à Cannes.

Et il y a des propositions qui vous plaisent?

On est en train de faire le tri...

Donc il y en a beaucoup...

L'avantage que j'ai, c'est que personne ne me connait et là je débarque dans un film de Bertrand Tavernier. C'est plus facile d'être bon acteur avec une partition pareille. Et puis j'ai eu de la chance, le rôle n'était pas pour moi à l'origine, je l'ai eu à trois semaines du début du tournage.

Oui, il était pour Louis Garrel... Vous deviez jouer dans le film mais un rôle moins important et subitement vous devenez le duc d'Anjou. Vous avez de la chance comme ça, en général?

Non, justement, je n'ai jamais de chance d'habitude. L'année dernière je devais faire une comédie musicale au cinéma, mais pour des raisons de production, ils ont choisi un autre acteur que moi alors que j'avais déjà commencé à m'entrainer. Ca a été assez violent. Ce devait être pour octobre. Déçu, je suis parti en vacances en août et je suis revenu le premier septembre. Je me souviens très bien, je disais à mes proches « si d'ici décembre je décroche pas quelque chose de fou, j'arrête ». Et dix jours plus tard, je me retrouve à faire une lecture dans le bureau de Tavernier et une heure après il me dit « je te confie le rôle du duc d'Anjou »...
L'autre chose amusante c'est que notre rencontre a débuté sur un mensonge total. Quand Tavernier m'a confié le petit rôle que je devais avoir au départ, une des conditions c'était de savoir monter à cheval. C'est la première question qu'il me pose. Je lui ai dit oui avec un gros aplomb, alors que pas du tout.

C'est ça le problème avec les acteurs, ils mentent très bien!

Disons qu'il le faut parfois! Entre temps j'ai été m'entrainer. Et enfin j'ai pu lui avouer à Cannes que je lui avais menti. Il m'a dit que j'avais très bien fait. Je me suis senti mieux.

Donc vous croyez au destin maintenant? Il fallait tirer la sonnette d'alarme, dire « si rien ne se passe, j'arrête »?

Oui, je pense vraiment que c'est important. Ce n'était pas par aigreur, c'est bien de réaliser aussi que d'autres choses sont possibles. J'avais plusieurs autres projets. Enfin toujours un peu dans ce domaine. L'écriture, la réalisation... Et puis, surtout - ça peut paraître surprenant mais c'est une petite passion que j'ai - l'huile d'olive. Mon idée c'était de monter une petite boîte, j'avais déjà le nom, je ne vais pas le dire parce que le nom était mortel. L'idée c'était d'importer des huiles de Grèce, Italie et Corse. Donc j'avais mes projets et le reste n'était pas bien grave, s'il arrivait un truc, c'était seulement du bonus. C'est important de lâcher prise dans sa tête. Alors quand j'ai fait la lecture avec Tavernier, j'ai réalisé la chance que j'avais, je me suis dit, prends-le comme tel après tu verras.

Vous évoquiez la réalisation, vous vous y êtes déjà frotté dans un court-métrage, Une virée... C'était sur quoi?

La fratrie, une relations entre deux frères. C'est un sujet qui me passionne. J'ai encore une petite boîte de production avec l'actrice Lolita Chammah, on avait financé son film aussi. C'était intéressant de voir la difficulté pour faire un court-métrage, le financer, motiver les gens. Ca rend humble par rapport au reste du métier.

Derrière la caméra, on apprend sur le métier d'acteur?

Oui, on apprend surtout à ne pas être chieur! A comprendre tout le boulot en amont et en aval.

Vous y retournerez?

Oui, un jour ou l'autre. Pour l'instant j'ai des trucs à raconter mais je ne sais pas encore comment les articuler. J'attends.

Dans le film de Tavernier, vous jouez le duc d'Anjou. J'ai lu que vous vous étiez beaucoup documenté sur lui. C'est important de saisir la psychologie du personnage?

Pour un personnage historique, dans un siècle très particulier, j'étais obligé de comprendre les codes de l'époque. C'est un type qui à 23 ans est confronté à des responsabilités hallucinantes, il a quand même la charge de la France. Ca m'a aidé à cerner la psychologie du personnage. Sa seule défense face à tout ça, c'est l'ironie, l'humour. Et c'est aussi sa prison. Car quand il s'agit d'être sincère, de révéler ses vrais sentiments, on a plus de mal à le croire.

Jouer un personnage qui a déjà existé, ça rend moins libre le jeu d'acteur?

Ce n'est pas Edith Piaf non plus! Tout le monde n'a pas une image nette de lui. Ceux qui le connaissent un peu évoquent tout de suite le duc d'Anjou et ses mignons... ce qui est totalement faux. Il fallait tordre le cou à toutes ces légendes. Dans l'écriture, il y a tellement de fantaisie que je me suis amusé avec ce personnage comme rarement. Cette ironie qui le fait parfois passer à quelque chose de très sincère... C'est un peu un Edouard Baer. Je l'avais vu lire un texte de Modiano... On a tellement l'habitude de le voir volubile que là il en était bouleversant. C'est un peu pareil, le duc d'Anjou, il a une très grande vivacité d'esprit et en même temps il est profond.

Tavernier dit de vous « Dès le premier plan qu'on a tourné, il avait l'ambiguïté, l'aisance, le charme, la culture du personnage. Il sait passer insensiblement d'un sentiment à l'autre, de l'ironie mordante à la sincérité. »(Le Monde 10 mai 2010).
Raphaël Personnaz, vous êtes un caméléon?


Quand j'avais lu ça, j'ai chialé, je lui ai écrit une lettre pour le remercier... Caméléon, j'aimerais bien! Tous les acteurs que j'admire, c'est ceux qu'on ne reconnaît jamais, les Viggo Mortensen, les de Niro capables de prendre 40 kilos pour un rôle, de devenir taxi alors qu'il venait de gagner un Oscar... Moi c'est ça que je trouve intéressant, pénétrer dans un univers qui n'est pas le sien et s'y plonger totalement... J'aime bien jouer tout ce qui n'est pas moi, parce que ça n'a pas grand intérêt de jouer un mec qui boit des coups place de la Contrescarpe! Enfin je crois.


Comment fait-on en tant qu'acteur pour rendre fluides des dialogues aussi datés? Est-ce qu'il faut faire oublier les costumes?

Ce texte pour moi c'est plus facile qu'autre chose. C'est tellement riche comme langue et précis dans les sentiments que ça exprime... Après les costumes, c'est une question typiquement française. Pour moi, c'est comme si on demandait à un réalisateur américain : « est ce que vous pensez que votre histoire qui se passe dans l'Arizona peut toucher un Français? ». Les sentiments du film ne sont pas datés : l'amour, la haine, la violence. Ce qui est fort avec Tavernier c'est qu'il ne t'installe jamais, tu dis un texte super émouvant et il va faire exprès de faire passer une poule entre tes jambes à ce moment précis!

Justement, quel est votre rapport personnel à la langue?

Mon rapport personnel à la langue?!

Vous avez commencé au théâtre, l'endroit de la langue bien parlée...

Mon personnage, le duc d'Anjou, apporte avec lui l'art de la conversation. A partir du moment où on arrive à mettre des mots précis sur des émotions précises, on arrive à canaliser la violence. Aujourd'hui, on est un peu dans cette perte de la précision du langage et à partir de ce moment-là rejaillit la violence...

Donc vous trouvez que la langue française de maintenant est un peu malmenée...

Il y a quelque chose de très intéressant que Jean Cosmos a dit à la conférence de presse. Souvent on entend dire des producteurs que les dialogues sont trop écrits. S'ils sont trop écrits, à quoi bon les écrire, alors? On a tendance à considérer que notre génération ne sait pas parler ou de façon caricaturale au cinéma. Je pense que s'il y a un métier qu'il est important de conserver, c'est dialoguiste.

Tout à l'heure vous évoquiez vos projets d'écriture...

Oui, j'écris, mais que ce soit par l'image ou le dialogue, je suis encore trop « vert » pour ça.

En fait, il faut juste vieillir...

Oui, il faut vivre, se balader, voyager et en tirer quelque chose.

En ce moment par exemple vous lisez quoi?

Là je lis un livre sur les techniques de tir des snipers et sur l'histoire secrète des forces spéciales. Donc c'est un peu particulier. (ndlr pour le film Forces spéciales) Et on vient de m'offrir un livre Le meilleur des mondes.
J'aime beaucoup les biographies, les essais politiques et -ça fait vraiment connard de dire ça mais c'est vrai - les vieux écrits philosophiques : Sénèque. C'est ma passion. J'ai lu un article qui disait que c'est parce qu'il n'y a plus cette philosophie antique qu'est apparue la psychanalyse.


Comment vous en êtes venu à Sénèque?

J'ai un frère qui est un peu ma tête! Et puis j'aime bien choisir les livres, en flânant dans les librairies, en me fiant aux quatrièmes de couverture...

Je fais ça avec les couvertures!

Moi aussi... Et les titres aussi de livre parfois suffisent. La Délicatesse de Foenkinos, par exemple, le titre m'a immédiatement plu.

J'ai une question intelligente : vous vous êtes percé les oreilles pour le film?

C'est la question essentielle, vous êtes la première à me la poser! Oui, je me suis fait percer l'oreille. Ca et la moustache, j'avais un petit côté Magnum pendant trois mois! C'était très laid quand même cette petite boule chirurgicale en argent.

Mais d'après ce que je vois, ce n'est pas encore rebouché!



C'est bien, ça fait le mec qui a eu plusieurs vies!

J'ai lu que vous étiez conscient d'avoir une image trop lisse, j'ai presque eu l'impression que vous regrettiez de ne pas être abimé par la vie... Vous êtes impatient de vieillir?

Oui je pense que tu deviens bon acteur à 50 ans. Et puis mon image, honnêtement, j'en ai rien à faire. On m'a tellement dit que j'avais un visage trop lisse, c'était presque « va te foutre à l'héroine, et reviens quand t'auras une bonne tête ravagée ».

Il faut avoir une gueule?

En France peut-être. Ca remonte aux années 80, ils allaient chercher les mecs dans la rue parce qu'ils en avaient marre de voir des têtes de minets. Après je pense qu'il faut de tout au cinéma. Le nombre de rôles que j'ai dû refuser tels que « Le personnage s'appelle Matthias, il a 25 ans, c'est le gendre idéal »... Ca n'a aucun intérêt. Donc a priori on me colle là-dedans, mais heureusement il y a des personnes qui me proposent d'autres choses.


Vous avez commencé au théâtre, vous comptez y retourner?

Oh oui, la dernière pièce que j'ai jouée c'était il y a trois ans avec Hélène Vincent, une grande dame. Le cinéma, ça fait six ans que j'y suis et je suis persuadé qu'on ne peut pas être un grand acteur si on ne passe pas par le théâtre à un moment. Tous les soirs rejouer la même chose, sentir un public devant soi, essayer de le prendre pendant une heure et demie, deux heures.


C'est plus violent qu'au cinéma, on n'a pas la caméra qui protège...

Je ne me sens pas protégé par une caméra. Au théâtre je me sens à la maison, ça fait prétentieux mais je me sens bien.

Ca a commencé comment?

Depuis que j'ai douze ans. J'étais amoureux d'une fille, je savais qu'elle était dans un cours de théâtre, j'avais supplié ma mère pour y aller. La prof m'avait dit, tu reviens la semaine prochaine avec un texte et tu le fais sur scène. Je voulais tout lui montrer à cette fille, le seul problème c'est qu'entre temps, la fille est partie, elle ne devait vraiment pas s'intéresser à moi. Donc j'ai pris le monologue du nez de Cyrano... - le mec qui n'a pas peur, il s'attaque à un sacré morceau. Et sur le moment je me suis dit « c'est ça que je veux faire".

Pour le duc d'Anjou, vous avez très bonne presse, dans les articles, c'est souvent votre prestation qui est retenue...

Mon but ce n'est pas d'être connu mais reconnu. Après je me souviens que quand je n'avais pas encore le rôle, mais mon rôle secondaire, au moment où j'avais lu le scénario j'avais trouvé celui du duc d'Anjou magnifique. Il n'est pas tout le temps là mais à chaque fois qu'il apparaît, c'est fort. Moi j'ai juste joué la partition. Les prix de meilleurs acteurs, pour moi ça ne veut rien dire, il n'y a pas de meilleur acteur mais de « meilleur rôle ».


Vous jouez un mignon dans Rose et noir, là vous êtes le duc d'Anjou, un personnage un peu efféminé... c'est difficile de trouver sa part de féminité?

Je suis un peu abonné à ce genre de rôle. Il y a six ans l'humoriste Didier Bénureau dont j'aime beaucoup l'humour noir, m'avait confié le rôle d'un transsexuel, je m'appelais Jessie.

Il y a aussi le court-métrage contre l'homophobie où vous jouez « Fusion man » (ndlr un super héros homosexuel)... Comment se travaillent ces rôles?

Ce n'est pas simple. Par exemple, je vais dans une piscine où il y a un type qui est la caricature totale de l'homosexuel et quand il commence à parler de sa vie, c'est cela qui me bouleverse et me trouble. Tout l'humour qu'il a pour lutter contre toute la dureté que lui a apporté la vie. Ca me fascine. Même pour ce personnage de Fusion Man, il a son image de super héros super viril et de temps en temps sa part féminine le reprend. J'adore ça, cette contradiction entre l'image qu'il veut renvoyer et ce qu'il est.

Vous recherchez les nuances...

Oui, j'adore. La carapace qui craque. Pour tous les personnages, pas seulement les efféminés. C'est ce que je trouve beau, il faut toujours tirer ses personnages vers leur humanité. Ce qui est important c'est de voir l'énergie qu'un homme met à faire quelque chose, à transformer ses faiblesses en force.

De passer du duc d'Anjou tout en panache à un sniper introverti dans Forces Spéciales, ça fait du bien?

J'aime bien faire des personnages intelligents, ça flatte l'ego. Faire un mec plus secret, qui ne parle pas, ça va être plus difficile. Je pense qu'entre chaque prise, je vais me déverser sur les autres! J'ai besoin de parler.

Ca va se passer comment, vous allez vous comporter comme un moine même en dehors du tournage?

J'ai besoin de déconner, c'est ma façon de me concentrer. Avec Tavernier, c'était comme ça, on faisait les choses sérieusement mais sans se prendre au sérieux. Un peu comme des gamins qui jouent.

Vous allez tourner au Tadjikistan?

Dès septembre, au Tadjikistan, à Djibouti et dans les Alpes. Et avant, donc dès juin, on va s'entraîner avec les forces spéciales. Tous les comédiens vont partir ensemble, donc plongés dans des conditions extrêmes, le groupe va se créer tout seul, il n'y aura rien à jouer. J'avais fait un film La première fois que j'ai eu vingt ans, c'était un groupe de musique et le fait d'avoir répété avant a fait qu'on n'avait rien à jouer au niveau de la complicité. Là ça va être encore plus extrême.

Vous jouez un sniper... quelle est l'histoire?

Six hommes des forces spéciales vont libérer une journaliste otage des talibans en Afghanistan jouée par Diane Kruger. Le sniper, j'ai remarqué que c'est toujours la même psychologie, c'est un loup, très solitaire et qui a à sa charge une responsabilité énorme. Il y a une notion de sacrifice incroyable et ils ont un pouvoir de vie et de mort. Il y a tout un truc sur la respiration et leur arme. Ils la chérissent en étant conscient que c'est un instrument de mort. On m'a filé une réplique de l'arme et on m'a dit de dormir avec. Il faut toujours que je sache où elle est.

De quelle arme s'agit-il?

Un M15A4.

C'est un rôle important...

Ce type-là est considéré comme un bleu par les autres. Il est tellement fort, assidu qu'ils décident de l'envoyer sur le terrain. Mais il est jeune pour avoir une responsabilité pareille. Il a toutes ses preuves à faire en même temps. Et tout ça il faut le faire passer en un minimum de mots.

Physiquement, vous travaillez quoi? L'endurance...

Oui, je cours dix bornes par jour, je vais bientôt faire des marathons et on va passer à la phase pratique des fusils. Je vais travailler la résistance au froid, au chaud, la capacité à rester douze heures dans la même position. J'ai fait trois heures dans la même position chez moi. Il faut vraiment avoir une vie intérieure riche! Ou faire le vide. Comme un moine. Mais rester à l'affût. Tu passes par tous les états... Parfois tu es bien, mais il ne faut pas trop l'être, il faut se dire que peut-être quelqu'un va surgir avec un fusil – j'étais dans mon appartement hein, le mec il ne va pas très bien!

Comme un ordinateur, il faut se mettre en veille parfois?

Non! Il faut toujours être là. C'est particulier. En fait, ce rôle de « moine », c'est un peu comme le métier d'acteur. Il faut savoir faire le vide de soi pour faire pénétrer un autre.

Alors vaut-il mieux n'avoir rien vécu pour pouvoir faire plus facilement le vide ou au contraire vivre un maximum de choses?

Les deux! Si on me demande de jouer un héroïnomane, je n'irai pas me mettre à l'héro, par exemple! Je crois à l'expérience mais il faut aussi beaucoup regarder les autres, je crois à la capacité d'imagination. A partir d'un physique, d'une façon de s'habiller, imaginer ce que font les personnes dans la vie. J'adore faire ça, à la terrasse de ce café.

Par exemple...

Pour le lecteur : Un grand homme chauve, chemise rose, mallette de cuir marron à la main traverse la place.

Par exemple, lui il ne vient pas de Paris, c'est un représentant qui vient à la maison mère... Que pourrait-il vendre? Des bouchons pour des bouteilles de vin, je pense qu'il est bien célibataire.
Ce que j'aime aussi c'est identifier les personnes à ce qu'ils étaient au collège.

Lui?

Un peu fayot.


Et vous?

Je suis passé par tous les stades. J'étais bon élève jusqu'au moment où j'ai découvert le théâtre, j'étais un serpent, je faisais bonne figure en cours, et je foutais le bordel sans jamais me faire prendre.

Comme le caméléon, on reste dans les reptiles.

Oui, ne jamais se mettre à découvert – ça y est j'emploie le vocabulaire de l'armée!

Vous dites que vous êtes devenu moins bon à l'école au moment où le théâtre est entré dans votre vie. Les deux ne sont pas compatibles? On se donne exclusivement au théâtre?

On va rentrer dans de la psychanalyse, je pense que c'est un lieu commun et un point commun entre beaucoup de comédiens, le théâtre permet de s'affirmer en tant qu'être humain, parce qu'on n'y arrive pas dans une situation familiale délicate. Rompre avec l'image qu'on renvoyait avant.

Vous jouez encore de la trompette?

Oui au grand dam de mes voisins. Ca va faire 18 ans, 10 ans à un vrai niveau ensuite j'ai lâché. J'ai commencé par la flûte à bec au conservatoire mais ça m'ennuyait, ça ne faisait pas de bruit, donc j'ai demandé à ma mère de faire de la trompette. Ca devient de la psychanalyse cette interview!

Vous jouez aussi du piano. Vous peignez?

Oui, comment vous savez cela?

C'était une plaisanterie en fait...

Je peins, je sculpte aussi, mais gentiment, le truc basique, de la terre. Pour moi tu es obligé de toucher à tout. Quand tu crées un personnage, tu crées une sculpture, tu lui donnes une colonne vertébrale. La position de la colonne vertébrale, ça change tout et là ce n'est pas psychologique.

Vous êtes obligé de vous exprimer par tous les modes qui existent?

Oui, sinon je deviens fou. Je suis hyperactif. Quand j'étais petit, je le faisais sans calcul, sans arrière pensée, c'est agréable de retrouver ça, de ne le faire que pour le plaisir. Je me suis remis à peindre il y a trois semaines alors que ça faisait un an que je n'y avais pas touché et c'est revenu comme ça.

Vous peignez quoi par exemple?

C'est un peu bizarre. Des têtes très torturées. C'est assez tribal.

Je vais passer en revue tous les autres modes d'expression : vous cuisinez aussi?

Oui, j'adore ça!

Votre spécialité?

De fines lamelles de boeuf un peu marinées avec de la coriandre. Certains appellent ça « les larmes du tigre ».

Oui... ça s'appelle aussi « le tigre qui pleure ». Vous l'accompagnez de quoi?

Alors, je l'agrémente (il prend une voix précieuse) de pâtes aux asperges avec crème aux asperges.

Vous chantez?

Oui!

Sous la douche!

Non, avec mon cousin on compose des petits trucs! Comme ça, sans prétention, pour s'amuser.

Vous bricolez aussi?

Oui, je m'y suis mis récemment, j'aime bien.

Ça commence à faire pas mal...

Après, il y'a tout faire et tout bien faire. Je ne pense pas faire tout bien.

Vous jardinez?

Non. Je n'ai pas trop l'occasion à Paris.

Ah! Mais bon, vous faites quand même de l'huile d'olive...Non, je ne fais pas d'huile d'olive. Mais c'est ma passion, j'adore ça. En fait, ma vraie passion c'est l'Italie.

Où?

Un peu tout, avec une grosse préférence pour les Pouilles que j'ai découvert récemment et plus particulièrement une ville : Lecce. C'est au centre du talon de la botte. Quand vous y irez, allez chez Natale, les meilleures glaces du monde.

Ah non, elles sont à Rome! Quelles sont les autres villes italiennes que vous aimez?

Allez à Lecce, vous verrez! Et j'aime Naples, c'est tellement le bordel. Sienne aussi. J'y étais au moment de la fête pour le gagnant du palio, c'était fou. Venise mais la nuit. Bari, son centre historique. Je vais aller à Bologne, Parme, Modène cet été. Je ne connais pas du tout.

Vous pouvez décrire votre lieu de travail? Ou votre table de chevet?

Ma table de chevet? Ce n'est pas mon lieu de travail, vous me prenez pour qui, un gigolo?!

Non, mais je me disais que les acteurs n'ont pas de lieu de travail...

Mon lieu de travail c'est mon salon, j'écarte tout, il reste un espace vide, et tous les matins, je fais une heure et demie de stretching.

De stretching?

Ce sont des exercices particuliers de Michael Chekhov, le neveu d'Anton qui était un élève de Stanislavski et qui est entré en dissidence avec lui. Il a écrit un livre Etre acteur où il fait pratiquer concrètement des exercices physiques, il dit que l'imagination est comme un muscle, qu'il faut la faire travailler et que pour exprimer des émotions et sensations, ça passe par notre corps. Il faut faire travailler des muscles qu'on n'a pas l'habitude de faire travailler dans la vie courante. Il propose très concrètement des exercices, de développer sa légèreté par exemple pour que le corps puisse exprimer un état. C'est assez simple et ça met dans une transe assez agréable. Tout est possible parce que par l'imagination on peut transformer une chaise en arc. C'est très bien, ça permet d'éviter les drogues! Ce sont des gammes, comme pour un pianiste. Un geste a une signification. Tu arrives à un contrôle de ton corps où chaque geste a un sens. Le fait d'avoir eu la sensation physique d'une émotion avant de la jouer permet précisément de ne pas la surjouer après.

Alors, vous arrivez à décrypter les gestes des gens?

C'est pour ça que j'aime regarder les gens dans la rue. Voir où se situe leur centre de gravité quand ils marchent. Lui, par exemple il l'a dans le crâne. Lui, pleine confiance, on sent que c'est dans la poitrine. Le duc d'Anjou a une colonne vertébrale haute, comme un serpent, il est toujours prêt à mordre.

En fait votre costume c'est votre corps...

Oui!

Vous n'avez toujours pas décrit votre salon.

Du parquet, beaucoup de bois, une table en bois. Je suis très bois. Des poutres. Assez zen, malgré le bordel qu'il y a.

9 commentaires:

  1. La première fois que j'ai vu cet acteur, c'était dans le Clan Pasquier et je pense qu'il a vraiment du potentiel. Ça me fait vraiment plaisir de voir quelqu'un d'aussi passionné parce qu'il fait, mais humble à la fois. J'espère qu'il saura faire les bons choix.

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  2. Superbe acteur, j'ai adoré le duc d'Anjou, il a le magnétisme d'Alain Delon jeune, d'ailleurs Delon l'a choisi pour l'interpréter à l'écran et il a rudement bien fait !

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  3. bravo pour l'interview. je suis arrivé ici par hasard après avoir visionné "La princesse de Montpensier". C'est un acteur/artiste universel remarquable!
    Merci!

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  4. magnifique interprétation du duc d'anjou.
    Interview passionnante.
    quelle énergie!
    vivement le prochaine film

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  5. Merci beaucoup pour cette interview!
    Quelle présence sur l'écran, quel charme, quelle prestance dans son rôle du Duc d'Anjou. A la seconde vision du film, il reste bluffant et on est encore plus sous le charme.
    L'intelligence, le travail que l'on perçoit derrière la performance sont confirmés par les propos de cet artiste.
    Bravo et merci au destin: a star is born / une étoile est née...

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  6. Merci pour cette merveilleuse interprétation, je vous souhaite une magnifique carrière car vous la méritez, il est rare de trouver quelqu'un d'aussi interessant que vous ! J'attend avec impatiente vos prochains rôles

    Excellent interview.

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  7. J'admirais déjà Mélanie Thierry et Lambert Wilson, je connaissais le talent de Gaspard U. mais vous, je ne vous avais jamais vu jouer. Franchement, vous les avez tous surpassés, haut la main. Dans ce film, on ne voit que vous et on attend vos apparitions avec impatience... J'espère vous revoir jouer bientôt et être aussi bluffée! bonne continuation
    Sylvie

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  8. Raphaël, tu crèves l'écran en Duc d'Anjou !
    A bientôt dans un autre film intéressant, les forces spéciales je ne suis pas sûre d'y succomber…
    D

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  9. C'est vrai qu'il jouait un petit rôle dans les "invités de mon père"...mais il ne m'avait pas frappé! Mais dans le film de Tavernier, là, il explose littéralement, pourtant dans un rôle secondaire!Le Delon (jeune) des années 2000? Celui de "Rocco", "Plein soleil" ou "Le Guépard"? bien sûr...

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